FB : DIKSA
Diksa, le cheminement d'un style.
Vu sous l'angle irréductible des codes régis par la rue, on pourrait dire qu'il est précocement rentré dans les ordres.
Les prémices du graffiti, comme une évidence, Jean François Claès alias DIKSA les a vécu en s'attelant durement à la tâche de cet art sans concession dès le début des années 80.
Back in the day à nos jours, plus de 3 décennies n'auront pas suffit à éteindre la flamme de ce passionné, acharné des terrains vagues, aussi assidu du spray que du coup de crayon.
Gratifié d'une orthodoxie peu commune, discret, ultra discipliné, le Style Writer n'ai pourtant pas du genre à rechercher la « flatterie», bien que l'indéniable niveau de précision stylistique de chacune de ses œuvres, sur murs comme sur toiles, puisse largement prétendre au contraire . Diksa mène sa barque sans ce soucier du chant des sirènes. Classique, dans la pure tradition d'un art prenant source dans les quartiers des block de New-York, mais jamais has-been, nous avons recueilli le témoignage inédit plein de sagesse de ce maniaque du trait à l’âme originelle.
Qu'est-ce qui t'as poussé à faire du graffiti ?
Étant un pure produit des années 80, j’ai été bercé dans la culture naissante du HIP HOP , donc du graffiti, à une époque où la culture musicale était un vaste désert auditif, perdu entre les Francis Cabrel, les Johnny Hallyday.. ambiance podium magazine .. la culture smurf de Sydney et les débuts naissant du hip hop ont vu immerger le graffiti. Tout jeune, j’ai été subjugué par les fresques que j’ai pu voir dans mon quartier, où au gré de mes errances et galères de jeune de quartier. J'ai vu les graf de OCEN, MAES (CBA) des BBC (Bad boys Crew ) Jay one, San (TRP) , Bando et autres. J'ai eu cette révélation qui a suscité en moi cette envie de peindre.
Un petit mot sur les années 80 en général ?
A l’époque trouver du contenu n'était pas une mince affaire.
Le mot se passait de bouche à oreille. Chacun avait sa petite dégaine - Kangol, name plate, survet Troop, ghetto blaster -, pour ceux qui avaient les moyens de les avoir. Attention à la dépouille qui sévissaient.
Les bboys se rencontraient dans la rue. Les gens étaient beaucoup plus spontanés, acteurs de la vraie vie. Pour aller chercher l'information, il fallait se déplacer dans les soirées ou les lieux dit des initiés. Il fallait se créer sa propre culture en essayant de rencontrer ceux qui avaient l'information, à savoir là où se passait les block party, les terrains, les lieux de rendez-vous.
Aujourd’hui, les gens sont submergés par un trop plein de contenu obtenu en un clic. Ils vivent tout par procuration. On perd cette notion d'activisme. Les protagonistes sont plus encrés dans le virtuel que dans le réel (blogs, sites internet , réseaux sociaux). Les gens sont passifs derrière leur écran.
On crée du contenu pour faire du contenu, même si derrière il n'y a pas forcement une vraie démarche artistique, mais plus une logique de com et de business.
Tu es considéré comme une des figures du Writing en France. Le légendaire T- kid t'a lui-même officiellement adoubé, et les grands noms du graffiti prononce ton blase avec respect. Qu'est-ce qu’un style master ?
Je ne sais pas si je suis un style master à proprement dit, je pense que c'est quelque chose que tu ressens. J’ai suivi une vague dont j’ai été un témoin privilégié. J’ai marqué mon époque à ma façon. Ma peinture reflète ce que j’ai vu, ce que j 'ai vécu. Après, je pense qu'il y a toujours plus fort que soi techniquement, mais ce qui compte pour moi, c'est d'avoir sa patte, son propre style. Même si au début on est influencé, il faut toujours un point de départ.
Une intention, une émotion qui se transforme en vocation, en mode de vie salutaire pour certain, salvateur pour d'autres ou carrément destructeur pour ceux qui ont voué leur vie à cette culture sans rien en avoir tiré de concret. Beaucoup ont tout sacrifié sans avoir de retour tandis que d’autres ce sont enrichis sur le dos des autres.
Je pense que le style est quelque chose qui se travaille tous les jours au quotidien. Il faut s’imprégner de la culture, vivre sa peinture, comprendre les mécanismes de la construction d'une pièce, appréhender la méthodologie aussi bien dans toutes les disciplines du Hip Hop, que le graffiti. Au début, on apprend les choses de manière scolaire, on suit les règles, ont reproduit des schémas, et après on crée soi-même ces propres règles.
Pour moi, être un style Master, c'est avoir compris et maîtriser son art et le décliner. Quand ton style commence à faire école, que des gens qui ont été tes référents reconnaissent ton style, c'est que tu as tout gagné. Donc fatalement, la vraie reconnaissance est d’être reconnue par ceux qui ont créé l'histoire, mais également quand ton style influence les autres.
Au début, le graffiti c'est une compétition envers les autres et envers toi, tu as envie de montrer que tu existes, de te prouver des choses, et de vivre tout ça de façon égoïste pour toi. Ensuite avec le temps, tu comprends qu'il faut savoir aussi donner et transmettre car le graffiti c'est aussi du partage, une façon de se dépasser soi-même et de donner un sens à sa vie.
Ça peut-être pour certain le meilleur moyen de s'en sortir.
Quand tu es au plus bas dans ta vie, il faut faire ce que tu sais faire le mieux pour t'en sortir.
Au commencement on est dans l’énergie brut, on cherche la technique, mais en fait, celle-ci sert juste à la canaliser. Les émotions se doivent de rester. L’essentiel, quoi que l'on fasse, c'est d'aboutir à une construction proche de l'osmose.Il faut arriver à transposer dans le réel ces idées.
Le sketch dans le graffiti est comme un parchemin dans lequel on ne cesse d’écrire ou de réécrire son histoire. Le graffiti est censé représenter ta vie.
Un style master, c'est quelqu’un dont le style s’enrichit tout le long de sa vie et de ses rencontres et devient intemporel.
En vérité, ce n 'est pas ce que tu fais qui compte le plus, mais qui tu es et quelle trace tu laisseras avec ton style dans les esprits et la mémoire de ceux qui auront voué leur amour au graffiti tout au long de leur vie. D’où l'importance de garder précieusement ces black book, sketch et photos !
Comment au fil des années as-tu réussi à continuer de peindre alors que d'autres de ta génération se sont arrêtés ?
Les aléas de la vie font que t’évolues, prend un autre chemin qui fait qu’on peut laisser tomber. Les bonnes ou mauvaises expériences conditionnent ton envie. On peut aussi penser avoir fait le tour.
Chacun perçoit les choses comme il veut. Y' a aussi ceux qui ont arrêté à cause de l'aérosol, des vapeurs toxiques des bombes. Si la foi n’y est plus, ça peut se comprendre aussi. Quand tu as voué une grande partie de ta vie à quelque chose, cela devient encré en toi à un point où tu es dans une quête graphique perpétuelle.
Le graffiti, c'est ton oxygène, c'est presque pathologique addictif. Plus tu fais, plus tu progresses et plus il est difficile de s’arrêter, c'est comme une drogue.
Tu as un style singulier, un univers bien propre à toi. Comment as-tu développé ta propre touche ? Tes influences ?
La peinture doit refléter qui tu es et véhiculer ton histoire, ta sensibilité et laisser libre cours à ton imagination. Il faut bien comprendre que notre inconscient est marqué par la culture dans laquelle on a baigné.
Des dessins-animés aux mangas jusqu'aux comics de notre jeunesse, quelque part, j'ai imprimé au fond de moi ce background graphique, en plus de la culture graffiti que j’ai vu naitre à ses balbutiements. De « spray can art » à Conan le Barbare , Frank Frazetta , Vaughn Bodé où encore Strange, Nova, Spidey... ont fasciné l’ado que j’étais.
Déjà tout petit j’étais un enfant rêveur. J'aimais créer avec des légos, dessiner, me projeter dans un monde propre à moi comme n'importe quel enfant qui crée ces propres histoires en s'immergeant dans son monde. L'imagination joue une part importante dans la création.
Quand tu crées, les choses encrées au fond de toi ressortent. Ce qui produit une spontanéité dans le trait et dans la façon de dessiner. Au début, quand on commence, on ne cherche pas la notion de résultat mais juste à prolonger son esprit et s'amuser. Plus on avance dans le dessin, plus on a envie d'aboutir à un résultat et plus on prend du niveau. Quand on est autodidacte, le chemin est plus long et la progression se fait par des déclics.
A un certain moment on sent que son niveau évolue et quand on prend du plaisir dans sa peinture et dans ses sketch on développe une touche singulière.
C'est tout un processus. Développer des notions de mises à l’échelle, de dessin de vues, de mise en couleurs, apprendre les proportions ainsi qu’améliorer sa capacité d'illustration permet aussi de progresser dans son style. C'est une course effrénée, non-stop un peu comme une obsession, qui te prend à n'importe quel moment. Je dessine tout le temps, donc à un moment le résultat est là.
Je ne cherche pas à voir un trait parfait, un dessin trop propre, j’essaye d’interpréter les images que j’ai, d’avoir ma propre interprétation. Mon trait n’est pas parfait, cela peut avoir son charme, un peu comme un vinyle dont on entend le son craquer.
C'est très difficile de créer sa touche. Au début, on ne fait que recopier ce qui est existant.
J’ai toujours laissé place à mes envies plutôt que de faire des créations forcées à la commande. Je suis plus un artiste qui vit et qui peint ce qu'il ressent en fonction de ses émotions et de sa vie.
Penses-tu que le graffiti hormis son aspect esthétique puisse être une thérapie voire une planche de salut pour certains/certaines ?
L'art en général est une thérapie en soi au même titre que la musique.
Créer libère l'esprit et permet d'évacuer la souffrance. Plus qu'une thérapie, c'est un incroyable exutoire, un moyen de se vider et paradoxalement de se remplir intérieurement.
Peindre des heures devant un mur apporte une sérénité et un bien être existentiel où tu matérialises sur le mur tout ce qui est en toi.
Le graffiti a un double effet sur ta personne. Tu es comme un autiste, mais tu restes connecté et en interaction permanente avec ce qui se passe dans la rue. Tout tes sens sont en éveil. Tu es présent sans être présent.
A la fin de ta peinture, ou d'un sketch terminé, tu ressens une libération, une vague d’énergie apaisante qui te sublime et permet de t’évader du quotidien. C'est la graffiti thérapie !
Dans ta vie perso il y a une interaction très forte entre ton travail à l'hôpital en tant qu'aide-soignant de nuit et ta vie de graffiti artiste. Peux-tu nous préciser en quoi cela influence-t-il tes créations?
Dans le Hip Hop ou dans le graffiti, il y a toujours eu une compétition, celle de donner le meilleur de soi, envers les autres et pour soi.
D'où la notion de battle, d'émulation. Il y a des moments où tu es égoïste, égocentrique, centré sur toi-même quand tu es jeune. L'égotrip est l'une des facettes très forte dans ce milieu. La reconnaissance comme dans beaucoup de disciplines fait partie du processus.
Une fois cette période passée, la maturité aidant, tu rajoutes à cela les galères de la vie, tu comprends mieux les souffrances des autres.
Pour moi dans la vie il faut être tourné vers les autres du moins les bonnes personnes. Je pense que si on donne beaucoup à un moment on reçoit beaucoup. Tout dépend de l’énergie qui émane autour de toi. C’est un peu comme un miroir. On peut avoir de belles surprises comme des désillusions. Ce sont de nos erreurs qu’on apprend.
Je fais un métier où il est nécessaire d’être à l’écoute, d’être un humain qui s'occupe d'autres êtres humains. Ce qui compte dans l'existence, c'est la trace que tu vas laisser de toi. Mon accomplissement personnel et artistique passe par l’humain.
Il n'y a pas de frontière entre mon travail et mon art ce qui crée une alchimie à travers le regard que je porte aux autres. Ma peinture est une partie de mon âme. J'y mêle la densité du réel à celle de mon imaginaire.
Comment perçois-tu le Covid-19 en tant que soignant ?
Le Covid met malheureusement à jour les dysfonctionnements de l’hôpital. Après, ce qui est dommageable, c'est la qualité des soins qui depuis de nombreuses années diminues. La prise en charge des gens malades dans des conditions dignes à un coût.
L’hôpital est à l'image de la société. On investit toujours plus dans la finance, l'armement, la police au détriment de l'humain. Mais à la base, ce que l'on oublie, c'est que nous devons tous prendre soin des uns comme des autres dans la vie quotidienne, à travers cette société déshumanisante où l'on réagit plus comme des individus mis en compétition les uns contre autres, par le biais du travail, du logement, et de la position sociale.
Le Covid 19 mettant en lumière l’égoïsme pure, nous oblige à revenir à nos fondamentaux et dépasser les clivages. Il faut s'entre aider.
Penses-tu qu'après cette crise sanitaire - et pas que - sans précédent l'on puisse encore avoir un avenir commun ?
Tant qu'on résonnera en termes de PIB et de croissance, je pense qu'on continuera à faire les mêmes erreurs. A savoir détruire notre environnement, notre planète et l'avenir des enfants au nom du profit, de la rentabilité et du capitalisme à outrance... Tout ce cela est très sous-jacent, en réalité on développe intérieurement une conscience collective, mais le système continue de nous pousser implacablement vers l’individualisme.
Tant qu'on « quantifiera » les gens en fonction de la valeur qu'ils peuvent apporter économiquement à la société et non pas en fonction de leur qualité humaine rien ne changera.
La générosité et le don de soi doivent devenir, être des notions vitales de notre société.On doit développer des valeurs humanistes et non économiques.
Une psychanalyse c'est un travail de soi sur toute une vie. Crois-tu que ton art soit comme une sorte d'analyse s'inscrivant dans une dynamique d'introspection permanente ?
La peinture, et le dessin c'est une forme d'introspection permanente, une manière de purger son âme. D'autres le font par la musique, la danse... L'essentiel, c'est de parvenir à un équilibre qui permet d'atteindre un développement de soi et une sérénité.
Que produit le confinement sur ton esprit créatif ?
Face à la détresse, aux multiples questions et aux angoisses de nombre de mes ami(e)s j'ai eu envie de faire des toiles pour les soutenir dans cette terrible épreuve.
Quels sont tes projets à venir ?
Pouvoir continuer de peindre tout en restant libre.
Je me vois plus comme un artiste que comme un travailleur artistique qui doit rendre des comptes aux galeries et aux pseudo amateurs de graffiti. Le street art est encensé, tandis que le graffiti devient le vilain petit canard. Son essence a toujours été dans sa forme primaire, d’être dans la rue.
L’argent pervertit son esprit originel. Ceux qui en ont été les principaux activistes se travestissent en street artiste pour rester dans les faveurs des galeries et des ventes aux enchères, tout en trouvant chacun leurs intérêts pécuniaires. Chacun fait ce qu’il veut de son art. Mais l’argent ne fait pas tout. Pour moi le graffiti restera des lettres, des flèches, des tags...
Je resterais intègre à ce que je vis, ce que j'ai vécu dans le début des années 80 et ce que je suis, un authentique Bboy ! Real Graffiti never die !
Copyright ALRH - CC. & Jean-François Claès 2020
Ne pique pas les photos sans autorisation sinon tu risques de te faire pincer très fort !
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