Immersion en terre Guaté Mao
J'ai rendez-vous à Saint Denis Basilique avec un artiste dont je ne connais que les portraits distillés ici et là sur des poubelles et autres vide - ordures publiques pas très reluisants qui ornent les trottoirs des immeubles et servent de dépotoirs à notre consommation effrénée !.
Mise à part que j'ai accroché sur son son travail et un message lapidaire sur FB pour prendre rdv, je ne sais pratiquement rien de lui. En fait c'est pas plus mal. Il pourra être un mélange de ce que j'ai concocté dans mon cerveau, ou pas. Chose dont je suis certaine, c'est qu'il va me plaire parce que son œuvre m'a déjà porté le premier coup. Il m'attend à la sortie du métro de Saint-Denis Basilique, esplanade de la Rosace. J'ai oublié de lui dire de mettre une rose entre les dents.
Dois-je préciser que c'est une blague. Le pompon, j'ai pas chopé ses coordonnées . Bref, Il y a des mecs qui traînent un peu partout, je les regarde en essayant de ne pas les fixer trop longtemps. Il fait froid, tout le monde est super emmitouflé, je stresse et m'en veux de ne pas lui avoir demandé son numéro de téléphone. Je commence à piétiner, quand j'ose fixer un peu un mec qui en retour ose également me rendre la même attention. Un sourire franc et au loin l'air de me dire " Oui, t’inquiète c'est bien moi " ! Ouf !
Je l'imaginais plus vieux, bien non, il est jeune, très jeune même. En mode camouflage, affublé d'un gros blouson militaire d'un treillis et de boots en toile kaki à semelles à crampons, sa démarche rapide me fait penser à celle d'un membre d'une organisation non gouvernementale prêt à faire un truc illégal absolument vital!
Au pied de la Cathédrale il caille vraiment, le bistro du coin s'impose . Il demande un chocolat chaud avec de la crème Chantilly. Je fais pareil.
Il est né et a grandit dans le Sud de la France, a fait une école de communication et de marketing, puis s'est embarqué par erreur dans un processus de premier cycle compliqué mélangeant les spiritueux à l’économie, alors que seule l'œnologie l’intéressait vraiment. Déconcerté, il plaque tout. Il aime voyager et aller vers les autres. Ces goûts musicaux sont éclectiques, mais son appétence pour le Hip Hop prédomine. La photo, c'est son élément ; capter instantanément des moments de vie, les regards, l'intention, l'aura quand celle-ci circule et quand l'espace d'un clic tu l'as transféré dans ta boite noire...
Installé à Paris, il trouve un job de coursier qu'il aime et l'arrange bien, ses déplacements étant l'occasion de peindre dans Paris toute une série sur les horodateurs.
" J'ai du arrêter ce job, parce que je n'avais plus besoin d'y aller financièrement et du coup, j'ai pu me mettre à peindre tout le temps. Mais je l'aimais quand même ce job ! "
« Je voulais faire quelque chose sur un mur, ça m’obsédait, mais je suis pas un super bon dessinateur, et faire un truc pas réussi ... ».
L'envie de faire et de bien faire est si forte qu'il s’essaie au pochoir.
Avec un père peintre portraitiste-paysagiste, ça ne semble pas irrationnel ?
« Mon premier pochoir, j'avais un peu fait la fête, je l'ai fait dans mon immeuble sur une porte foncée avec un bombe noire ; du coup j'ai eu du négatif sur du négatif, c’était vraiment raté, mais ça été formateur... »
Quelques années auparavant il avait pas mal traîné avec un groupe de Guatémaltèques, d'où l'idée de coller "Guaté" à "Mao", diminutif de Matéo (son prénom), pour former un blaze porté sur l’universel !
On sort du café, et là, c'est le Saint Denis Basilique City tour qui m'attends, une ballade intra-muros d'enfant gâté. Je ne le montre pas trop, mais je ressens un contentement indescriptible. Il habite la rue perpendiculaire de l'immeuble où a eu lieu l'assaut du Raid et où s' était entre autre caché le terroriste Abdelhamid Abaaoud. L'immeuble est entièrement muré, entouré de palissades, grillagé et recouvert de banderoles des habitants du quartier et associations dénonçant la grande précarité des locataires sinistrés.
Ça ne me laisse pas indifférente. Lui qui a vécut les choses en direct l'est encore moins. A cet effet, il a marqué une poubelle de son empreinte, une image altruiste de sa vision du monde offerte au croisement des regards. Son témoin contre l'oubli.
Il marche toujours à 100 mètres devant moi au pas quasi-militaire. J'adore voir sa silhouette s'éloigner et capter sa fuite à travers les dédales, parfois en phase terminale, de son quartier à l'aide de mon objectif. Puis il s’arrête, et là un autre portrait, celui d'un enfant entre passé et présent dont le pochoir révèle les sinuosités existentielles propres à chacune de ses œuvres. Au détour d’après, sur une poubelle marron glacé, un autre portrait, celui d'une vielle Massai port altier et contemplative.
Par certains moment j'ai l'impression de me retrouver 20 ans en arrière dans les ruelles glauques de Bedford à Brooklyn. Dans une étroite charnière de la place de la Rosace, des mecs écoulent de la came, tandis qu' un autre juste à côté là consomme. Dans ce recoin, il y a aussi une paire d'yeux qui explore en profondeur nos faits et gestes. Je ne me pose pas de question, je shoot.
Je suis transparente, sauf pour la paire d'yeux fixe.
Je prends des photos, les gens sont totalement relax . Je n'ai droit à aucune remarque de type égrillardes. Je me sens bien car je marche dans ses pas en toute sérénité. On s’arrête prés du KFC, je prends quelques clichés, il y a plein de monde.
Devant cette déferlante humaine venue des 4 coins du monde, ces paires d'yeux parleraient presque ! Les gars devant, qui entrent et sortent du fast food, ils les connaît tous ! Accolades, serrages de paluches, main sur le cœur, les épaules, bras dessus-dessous, Guaté Mao c'est le petit prince de Saint Denis Basilique. Il aime les gens, et on le lui rend bien ! Il me dit aussi, être très impliqué dans le tissu associatif de son quartier, notamment auprès des jeunes avec qui il élabore et met en place des projets artistiques pour la ville ! On repart dans les rues, prés du tramway sur le trottoir de droite, béatifiée sur un horodateur une jeune indienne, peut-être une Guarani, dont la beauté sonne comme un avertissement. On marche encore, et sur la porte désuète entre tag et stickers collés de travers le fameux portrait de ce petit garçon dont la résignation glace le sang.
Dans cette petite Babylone aux allures surréalistes, à l'instar des grands reporter, les visages scarifiés au pochoir de Guaté Mao nous exhortent à reconquérir notre part d’humanité. Sourire, aller vers les autres, tuer notre indifférence.
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Oui, c'est un petit prince simple, aimant et libre.