SOLO, Mon histoire du Hip Hop :"NOTE MON NOM SUR TA LISTE" Editions Massot - Librairie Le Grand jeu
Solo, l’épine dans le flanc du hip-hop français signe une autobiographie coup de poing
Publié aux éditions Massot, Solo, figure incendiaire du hip-hop français, livre une autobiographie qui n’est pas qu’un simple mémo nostalgique. Non, il ne s’agit pas d’un énième exercice d’autocélébration où l’artiste recycle ses gloires passées.
Ce livre, cru et incisif, plonge dans les entrailles du hip-hop français à travers le regard d’un de ses architectes originels.
Fondateur du légendaire groupe Assassin, cet agitateur de conscience ne se contente pas de raconter son histoire : il dissèque celle d’un mouvement, avec ses triomphes et ses échecs, ses éclats aveuglants et ses zones d’ombre si épaisses qu’elles feraient pâlir une nuit sans lune.
Une rencontre avortée, ou l’art du malaise
Entraînée par mon ami Tony, c’est dans une librairie au nom évocateur, Le Grand Jeu, que je devais en principe échanger avec Solo le jour de la dédicace de son livre. Un lieu dédié aux cultures urbaines et dissidentes, où tout semblait en place pour une conversation mémorable.
Mais la dédicace tourne court. Ma faute ? Une question peut-être mal calibrée sur Afrika Bambaataa, figure jadis vénérée, désormais entachée par des accusations de pédocriminalité.
« Apparemment, tu parles de Bambaataa dans ton livre ? », lâché avec la grâce d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. La réponse de l'auteur : glaciale, du genre, « Je dis ce que j’ai à dire. » Point final. Une interaction aussi chaleureuse qu’une brique de béton, me laissant avec un goût de fer et un livre en guise de rédemption dans le métro du retour. Moralité –pour les connaisseurs– j'aurais du écouté Exil One juste avant...that's the way life goes !
1984 : Le choc Mégahertz
Dans la France des années 80, Solo est un ado comme les autres (ou peut-être pas, en fait), coincé dans un quotidien où les rêves s’écrasent contre les murs épais de la réalité sociale. Puis arrive 1984.
Et là, tout bascule : une émission de télévision, Mégahertz, diffusée sur TF1 et animée par l’incontournable Alain Maneval. Ce jour-là, le plateau devient une scène historique : Crazy Legs et Mr. Freeze, légendes du Rock Steady Crew, débarquent et exécutent des moves qui défient les lois de la gravité. C’est plus qu’un show, c’est une révolution en direct.
La suite logique ? Beat Street, le film qui devient la madeleine de Proust de tous les aficionados du hip-hop. Solo voit dans tout ça bien plus qu’un simple mouvement artistique : c’est une échappatoire, un manifeste artistique dont il va redéfinir ses propres frontières.
Alors ils s'empare de ce truc sauvage.
Du terrain vague de Chapelle au Troca, en passant par la mythique Grange-aux-Belles et le Globo, Solo s’entraîne, mais surtout, il innove. Le copier-coller, très peu pour lui. En 1985, il cofonde Assassin avec Rockin’ Squat, injectant au rap un venin politique inédit.
New York ou Paris, Solo traque l’essence même du hip-hop, fréquente les spots les plus branchés et croise, dans ce marathon culturel, les figures emblématiques de l’époque.
On y retrouve dans le désordre Bernard Zekri, Jean-François Bizot, Sidney, Benjamin Biolay, DJ Jo, Vincent Cassel, Alexandre Jordanov, Reak, Loïc Dury, Dee Nasty, Jacques Massadian… et j’en passe. Pas beaucoup de Dupont Lajoie dans son carnet d’adresses, évidemment.
Bambaataa : le prédateur derrière la légende, l’omerta comme complice
Dans son autobiographie, Solo livre un des moments les plus glaçants de son parcours, confié à Mouloud Achour également sur le plateau de Clique: sa rencontre, à 17 ans, avec Afrika Bambaataa. À l’époque, Solo débarque à New York pour son tout premier voyage, et séjourne chez la légende vivante du hip-hop, le « parrain » de la Zulu Nation, prophète d’un mouvement prônant paix et respect. La vitrine est impeccable, mais derrière les slogans et les platines, Solo découvre une réalité bien plus sombre.
Il faudra des décennies avant que les masques tombent : une avalanche de témoignages met en lumière un Bambaataa accusé d’agressions sexuelles sur de jeunes garçons, parfois issus de son propre entourage. Solo, quant à lui, mettra quarante ans pour briser le silence. Ce qu’il a vu, ce qu’il a vécu, il le raconte enfin, avec une lucidité brutale.
Dans son livre, le rappeur tranche dans le vif et pulvérise l’image du « héros déchu » que certains continuent de vouloir sauver. Pas de poésie, pas d’excuses : Bambaataa n’est pas une idole fragilisée, c’est un prédateur, end of the story.
Un homme dont les actes ont traumatisé plusieurs générations, alors que le monde du hip-hop, bien souvent, se contentait de détourner le regard. L’omerta ? Une alliée précieuse pour protéger les mythes, même les plus sales.
Solo refuse de jouer le jeu de l’euphémisme ou de la réhabilitation douteuse. À ceux qui osent encore parler de complot ou d’« erreur de parcours », le message est limpide : la vérité n’a pas besoin d’alibi. Les faits parlent d’eux-mêmes, et les excuses ne dansent pas mieux que les prédateurs qu’elles défendent. À bon entendeur.
Le hip-hop : une culture de survie, pas de parades
Loin des clichés édulcorés d’une époque révolue, L'artiste décrit son hip-hop brut et viscéral, mais aussi profondément humain.
Ce n’était pas une fête sans fin, mais une lutte quotidienne. Ego hypertrophié, rivalités destructrices, excès de toutes sortes : la culture qui a sauvé tant de vies avait aussi ses pièges, ses gouffres. Pour Solo, cette double face est indissociable.
Le hip-hop, c’est un cri, une bouée, mais aussi une bête qui peut dévorer les siens.
Dans ce tableau, certaines figures brillent encore. Comme celle de JonOne, légende du graffiti, qui signe un tribute poignant à son ami dans le livre. Un hommage qui rappelle, avec une justesse douce-amère, que derrière le pseudonyme « Solo », il y a toujours eu un collectif, une fraternité.
Pourquoi lire Solo ? Parce qu’il faut regarder le hip-hop en face.
Ce n’est pas une simple autobiographie. C’est une bombe artisanale. L'artiste raconte tout : l’ascension, les illusions, les trahisons.
Une mémoire collective retracée au cutter, sans complaisance.
Pour comprendre le rap français, dans toute sa beauté imparfaite, il faut lire Solo.
Mais préparez-vous : ce n’est pas un portrait flatteur, c’est un miroir brisé. Leçon garantie. Frissons et vérités inclus.
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